miércoles, 21 de mayo de 2014

Je demande pardon pour avoir vécu au-dessus de mes possibilités

Je demande pardon pour avoir vécu au-dessus de mes possibilités, gaiement, à la légère, sans m'arrêter à penser un instant que mon téméraire comportement contribuerait à l'hécatombe économique et social de ce pays des ans plus tard.

Je demande pardon pour avoir étudié, pour avoir osé au moins rêver que, dans l'avenir, je pourrais avoir un travail meilleur que celui de mon père, un enfant de l'Après-guerre et mécanicien sans vocation à l'ancien Renault. Je demande pardon pour avoir gaspillé cents d'euros en des inscriptions, des livres, des stylos et des feuilles. Et pour avoir gaspillé les cinq euros que ma mère me donnait pour le sandwich, qui devrait avoir toujours été de fromage et jamais, jamais (mon Dieu, quelle honte) de jambon.

Je demande pardon pour avoir prétendu travailler à quelque chose de vaguement en relation avec mes études ou, au moins, au minimum qualifié pour que cinq années à base de sandwichs de fromage et de jambon (je serre le cilice à nouveau) avaient valu la peine. Que de possibilités de vivre de façon en accord avec mes possibilités j'ai gaspillé! Télé-operateur! Enquêteur! Distributeur de publicité d'académies d'anglais! Mettre des lettres dans des enveloppes! J'ai eu, ciel, mon propre avenir dans mes mains et je l'ai méprisé en une extase justifiable de fierté, en pensant que ces nobles activités étaient des travaux temporaires! Je demande pardon (je tape maintenant à genoux, en regardant le mur) pour croire que je méritais quelque chose de meilleur.

Je demande pardon pour avoir couvert mon corps avec des vêtements. Pardonnez-moi, je vous en prie, pour chaque euro inversé en H&M. Pourquoi est-ce que je n'ai pas porté des ponchos? Un poncho, c'est élégant, digne et tout compatible avec mes possibilités. On prend un drap, on lui fait un trou pour la tête et c'est tout. Je pourrais avoir teint d'une couleur celui du dimanche, même la racaille doit se permettre la coquetterie de temps en temps. Mais… des tee-shirts? Des jeans? Des blousons? Et (oh, Dieu, apitoie-toi sur moi) un manteau tous les deux hivers? Mais qui est-ce que j'ai cru que j'étais? Un marquis? Un footballeur? Un commentateur d'un magazine d'information? J'enfonce maintenant le cotre dans mon avant-bras et je contemple le couler du sang, parce que n'importe quelle souffrance, c'est peu pour racheter telle bassesse.

Je demande pardon, je demande pardon et je demande pardon. Et j'accepterai n'importe quel châtiment que les marchés veuillent m'administrer dans ces jours de justice implacable. Je demande pardon pour avoir eu un ordinateur de gamme moyenne, pour avoir demandé ce verre d'importation au mariage de mon beau-frère, pour avoir invité à dîner en VIP la fille que j'aimais bien (il faut mériter même le 2x1 des Nuits Folles) et pour avoir demandé un prêt pour étudier un mastère, pour avoir acheté ce matelas viscoélastique et pas celui de ressorts de fer, qui est celui qui est à ceux de ma race; je demande pardon pour avoir vécu, de temps en temps, modérément insouciant, pour ne pas avoir pensé, sans repos, du jour à la nuit, à l'avenir; pour avoir lu de la poésie, et pas des livres d'économie; pour avoir aimé, ri; et pour avoir enduré la terrible maladie de l'illusion.

Et c'est que, maintenant que je le pense, maintenant que je regarde les informations et je lis les derniers analyses de la récession et les conséquences que les gaspilleurs comme moi, avec toute justice, allons endurer, je me rends compte que je n'ai pas vécu au-dessus de mes possibilités, mais à l'atmosphère, à la stratosphère, au chiant saut à l'hyperespace de mes possibilités…

Je n'en avais pas aucune!

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